Que peuvent faire les journalistes pour lutter contre les Fake News et les discours haineux au-delà des articles de presse

Participants : Neuf journalistes du quotidien Le Jour 

Lieu : Siège du quotidien Le Jour à Yaoundé 

Date : mardi 15 septembre 2020

Heure : 11h

Auteur : ASSONGMO NECDEM Yannick

Justification du choix du thème

Les journalistes sont les professionnels de l’information car, leur travail est basé sur les faits qu’ils collectent, traitent et diffusent. La vérification est au cœur de leur activité. Les journalistes sont naturellement les mieux à même de savoir combien les faits peuvent être manipulés, combien les informations peuvent être truquées à des fins inavouées. Face à la montée des Fake News et des discours haineux, les journalistes sont plus que jamais interpellés. Il est attendu de ces professionnels de l’information un engagement qui va bien-au-delà de la rédaction des articles de presse diffusés sur les médias.

Au Cameroun, cet engagement des journalistes devient une urgence tant la manipulation des informations et la montée du discours tribal dans le cyberespace contribuent à détériorer le climat social alors que le pays vit au moins trois crises : sécuritaire, identitaire et postélectorale. S’il est attendu des journalistes un rôle majeur, nous avons choisi de leur poser directement la question sur le type d’engagement et les actions qu’ils mènent ou peuvent mener pour lutter contre les Fake News et les discours haineux. Cette question visait à mesurer la compréhension que les journalistes ont de ces maux, à mesurer les comportements de ces derniers en tant qu’internautes face aux Fake News et aux discours haineux.

L’enjeu de ce thème est d’observer le niveau d’engagement des journalistes et de proposer les voies pour les inciter à plus d’action.

Nous sommes partis d’une séance de discussion avec des membres de la rédaction centrale du quotidien Le Jour, l’un des plus importants journaux privés au Cameroun. Malgré leurs occupations, 09 personnes ont participé à l’échange indépendamment de leur statut : employés permanents, professionnels stagiaires et stagiaires académiques (étudiant en journalisme).

La définition du Fake News et du discours haineux

Il est apparu tous les participants définissent le Fake News comme une fausse information. Quelques-uns vont au-delà de cette définition basique, pour ajouter les précisions suivantes : 

  • Information fabriquée dans le but de nuire une personne, une personnalité, une organisation, une communauté et même un Etat. 
  • Information qui n’est pas vérifiable.
  • Information fabriquée ou partagée pour faire le buzz

Par contre les participants ont affiché leur désaccord sur la question de savoir si une Fake News peut être donné sans intention de nuire.

Dans tous les cas, il leur apparait que c’est la vérification qui permet d’établir un Fake News. Deux participants ont une idée claire du Factchecking. Il s’agit d’un journaliste permanent et d’un étudiant en journalisme de paix de l’Université protestante d’Afrique Centrale. Une participante croit qu’il s’agit d’un logiciel. 

Le discours haineux est quant à lui compris comme : 

  • L’expression d’un sentiment vis-à-vis d’une personne ou d’une chose.
  • Un sentiment qu’une personne ressent et distille autour d’elle.
  • L’intention de susciter la hargne et la colère dans les cœurs.
  • La déformation de la vérité.
  • Toute production langagière dont le but est de dénigrer une personne, une communauté ou un pays.
  • Des préjugés et des propos pour discréditer les communautés.

Malgré ces définitions, seuls deux participants pensent qu’il existe un lien entre Fake News et discours haineux. 

Attitude des journalistes face aux Fake News et discours haineux

Des participants ont regretté avoir déjà partagé au moins un Fake News sans le savoir. Ils s’étaient sont fié à la vraisemblance de l’information ou à la source ayant diffusé la supposée information. Un autre participant confie qu’il partage souvent des informations suspectes dans les foras professionnels de journalistes des informations. Il le fait dans l’espoir d’avoir une confirmation ou une infirmation.

Voici le répertoire des actions de journalistes lorsque ceux-ci détectent un Fake News ou un discours haineux. 

  • Ils ne le partagent pas.
  • Ils bloquent la personne qui les leur a envoyés.
  • Ils quittent le groupe Whatsapp.
  •  Ils le signalent parfois dans les foras Whatsapp ou en faisant un statut.
  • Ils ne dénoncent que dans des groupes restreints comme celui de la famille ou de la communauté ethnique. Dans tous les cas, ils s’agit des groupes dont les membres leur sont proches.

Les journalistes ont peur de mener l’offensive

Contre les Fake News et les discours haineux, l’engagement des journalistes reste pour l’essentiel passif. En d’autres termes, ils se contentent de ne pas partager et, rarement, ils signalent dans des groupes restreints. Lorsqu’ils ont la bonne information, ils la partagent. Mais sans plus. Les journalistes s’abstiennent de poser les actions suivantes : 

  • Signaler ou dénoncer solennellement un Fake News sur les foras, leurs comptes et pages Facebook.
  • Faire la vérification et partager le fruit de leur travail.
  • Dénoncer publiquement les personnes qui propagent les Fake News et les discours haineux.

Un journaliste confie qu’il avait suivi une formation sur la lutte contre les discours haineux ; formation au cours de laquelle les participants avaient été appelés à créer des plateformes individuelles pour lutter contre ces discours. Pourtant, il ne l’a jamais fait.

Plusieurs raisons sont avancées pour justifier cette absence d’un engagement actif, proactif et offensif.

  •  La peur de subir la violence ou de faire l’objet des attaques sur les réseaux sociaux.
  • La peur de se faire des ennemis ou d’être étiqueté dans un contexte marqué par le manichéisme (Mrc/Rdpc, opposants/collaborateurs du système gouvernant, Bamilékés/Betis, etc).
  • Le déficit de compétences pour faire le Factchecking.
  • Les occupations laissent peu de temps à consacrer aux Réseaux sociaux.
  • Les plus jeunes disent ne disposer ni du carnet d’adresse suffisant, ni de la légitimité pour faire de la vérification alors qu’il y a des aînés plus aguerris. 

Les journalistes privilégient les actions via les organisations et les associations

Les journalistes ont bien conscience des enjeux qu’il y a à s’engager contre les Fake News et les discours haineux. Ils manifestent même l’envie de s’engager. Toutefois, ils préfèrent le faire dans le cadre des actions portées par des organisations comme les associations ou les syndicats de journalistes (sensibilisation, dénonciation, factchecking, débat, etc.)

Recommandations

En considérant les raisons que les journalistes avancent pour justifier leur engagement passif contre les Fake News et les discours haineux, en considérant les actions que ces professionnels préconisent, nous pouvons faire les recommandations suivantes : 

  • créer des rubriques de factchecking dans les médias traditionnels et les médias en ligne ;
  • multiplier des formations de factchecking à l’ intention des journalistes ;
  • intégrer les modules de factchecking dans la formation des étudiants en journalisme ;
  • associer les organisations professionnelles de journalistes aux programmes de vérification des faits à l’instar de l’initiative Defyhatenow. 
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